Cela fait trois jours que j’ai commencé mon stage au sein de l’Agence We-We, un studio de création graphique composé de cinq employés ayant tous une formation de graphiste. Dès mon arrivée, j’ai été plongée directement dans une réunion de débriefing de tous les projets en cours, et il y en a beaucoup, dont certains sont top secrets. J’ai été affectée à la réalisation de créations graphiques pour l’un de ces projets top secrets, et j’ai pu être confrontée aux clients, souvent très stressés, de l’Agence. Ma tutrice, Marine qui est directrice artistique mais aussi la fondatrice de We We, m’a informée des nombreuses choses que je ne devais pas communiquer sur ce projet. Elle-même a dû signer de nombreuses clauses de confidentialité, interdisant le partage des créations. Les dossiers sont même renommés à l’aide de codes secrets pour éviter le plagiat en cas de vol de données ou autre (oui oui, on atteint ce niveau de psychose). J’avoue que je me sentais un peu comme une infiltrée en travaillant sur ce projet.
Illustration de l’échange avec ma tutrice sur le nom des dossiers.
Les relations clients avec l’Agence, c’est une grande histoire faite de haine et d’amour. La communication peut faire perdre énormément de temps dans le processus de création, et aussi beaucoup d’argent. Beaucoup minimisent les frais chez l’imprimeur, ou encore le coût de réalisation d’une maquette V1, qui est très élevé. Les devis sont souvent retouchés et changent tous les matins, les envois de photogravures sont souvent refaits plusieurs fois à cause des retours qui sont parfois aléatoires et très constants, entre les mails et les coups de téléphone, cela n’arrête pas. Bien sûr, ils ne sont pas tous à côté de la plaque, mais malheureusement, ce sont souvent les plus gros clients qui changent d’avis très régulièrement. Il faut alors faire preuve de patience et beaucoup d’autodérision pour faire passer la pilule.
Malgré des retours parfois très secs des clients, We-We essaie toujours d’avoir une longueur d’avance sur le choix et le format des éditions ou de l’identité visuelle mise en place lors de leurs différents projets. J’ai trouvé ça très chouette que grâce à leur expertise, ils arrivent à convaincre le client dans leurs idées. On ressent une énorme passion pour l’impression ou encore le choix des papiers et des techniques d’impression, qui sont primordiaux, entre offset et couchés, un papier plus ivoire ou plus blanc. À chaque nouvelle création, ils trouvent toujours des techniques ou des formats qui sortent de l’ordinaire pour proposer des produits uniques et qui sortent des objets commerciaux traditionnels. Marine m’a énormément expliqué comment ils façonnent et réfléchissent à leurs objets, et c’est cette originalité qui leur permet de réaliser des projets de grande envergure avec des clients de grande importance, qui touchent et englobent le monde entier. J’ai hâte de découvrir encore plus d’aspects de l’agence, notamment en assistant à l’impression des futurs projets, en rencontrant davantage de clients, et en créant de nouvelles mises en page et missions graphiques. Je vais beaucoup apprendre et ça c’est chouette !
Photographie annotée, d’une pièce de l’Agence.Photographie de mon bureau 🙂
Durant ce mois et demi de stage, j’ai appris beaucoup et fait de nombreuses découvertes, dans la maîtrise de nouveaux logiciels libres, dans la manière de travailler et dans les relations avec le client.
Le fait d’effectuer un stage dans un collectif m’a obligé à travailler différemment. En effet, aucun projet ne se fait seul : deux personnes au minimum travaillent sur un même projet, afin de proposer des axes très différents, auxquels l’autre n’aurait pas pensé, les mettre en discussion, avoir des retours sur nos choix graphiques, etc… je peux aussi demander à l’une des personnes qui ne travaille pas sur le projet d’y apporter un regard neuf. J’ai donc eu une nouvelle approche du métier et notamment du freelance : auparavant, je l’imaginais isolé, et je n’avais qu’une vague idée du travail en collectif. Cette manière de travailler est plus stimulante notamment par le fait qu’elle permet à Maud et Sandrine, les deux DA qui ont 20 ans de métier, de partager leur expérience.
Au sein du collectif, chaque membre est au même niveau, il y a très peu de hiérarchie contrairement à une agence et l’on avance à son rythme dans les délais du client. La répartition des tâches sur un projet se fait en fonction de la charge de travail, des contacts et des compétences de chacun : par exemple, s’il s’agit d’un projet de création de site web, c’est Ouidad et Bachir, les développeurs, qui s’en occupent ; pour une identité visuelle, une affiche, tout ce qui touche à l’édition, c’est Maud, Sandrine et Chloé ; pour réaliser l’identité d’un évènement organisé par la ville, c’est Sandrine qui y travaillera.
De plus, utiliser de nouveaux logiciels m’oblige à penser autrement ce que je prévois de faire. En effet, ces derniers n’ont pas le même fonctionnement que ceux d’Adobe, ils sont beaucoup moins puissants, j’atteins plus rapidement leur limite, et je dois donc rester simple dans mes réalisations. Face à ces outils, il faut même parfois être malin pour contourner les difficultés qu’engendrent certaines manipulations.
Ah le client… !
J’ai eu aussi l’occasion d’être en contact direct avec le client. En effet, c’est un aspect du métier auquel on n’est jamais confronté en cours et qui peut avoir un impact majeur dans les choix graphiques.
Un des projets dont je me suis occupé était pour la Maison Bakhita, une association d’aide aux migrants ; nous devions réaliser son rapport d’activité. Avant même de commencer à travailler sur la mise en page, Maud et moi sommes allés sur place rencontrer le client. Nous avons aussi fait la connaissance des membres de l’association, compris son fonctionnement pour mieux cerner sa demande.
Grâce à ce rendez-vous, nous avons compris qu’il ne s’agissait pas simplement de réaliser un rapport d’activité, mais également de construire la charte graphique de l’association pour faire vivre le logo fraîchement réalisé. Nous avons donc pensé nos choix graphiques dans cette optique, ce qui ne nous avait pas été clairement demandé. J’ai compris qu’aller à la rencontre du client est une étape primordiale, essentielle, pour bien comprendre sa demande. J’ai aussi constaté que ce n’était pas facile de proposer au client de modifier ses décisions habituelles pour des choix graphiques plus affirmés. En effet, au fur et à mesure de l’avancée du projet, j’ai remarqué que les choix graphiques mis en place sur la piste retenue avaient complètement changé : on était revenu aux couleurs passe-partout du logo comme si le client avait renoncé à nos propositions graphiques, plus affirmées, pour imposer les siennes, plus classique. J’ai trouvé cela un peu décevant, car nous avions passé du temps à élaborer de nouveaux visuels inutilement. Le graphiste peut-il imposer ses choix au client ?
Avancée du projet : de la piste retenue avant et après la phase de correction avec le client
Cette expérience m’a donc permis de voir que faire évoluer une identité visuelle nécessite du temps, notamment pour le client, afin qu’il soit prêt au grand changement tant rêvé par le graphiste !
Heureusement, à l’inverse, certains clients laissent une plus grande marge de manœuvre aux graphistes. En effet, j’ai pu travailler pour la ressourcerie La Mine à Arcueil, un client de longue date du collectif, sur la mise à jour du programme, un A4 recto-verso plié en deux, pour le mois de mai. Le client nous envoie les textes qu’il suffit d’intégrer à notre document de travail ; c’est la partie la plus rébarbative ! Mais le programme comporte tout de même une couverture, composée d’un visuel central, réalisé par l’association de deux formes complètement différentes. Le plus surprenant, alors, fut d’avoir eu une grande liberté : je peux agencer les éléments sur la page comme je le souhaite, réaliser le visuel de la couverture avec n’importe quelle forme, et non aller piocher parmi les quelques formes de la charte graphique… Je peux même raccourcir les textes fournis par le client si je les trouve trop long !
L’attitude opposée de ces deux types de clients, l’un qui laisse une grande liberté, et l’autre qui restreint la marge de manœuvre, est aussi liée au fait qu’il s’agit respectivement de clients habituels connaissant le collectif et leurs manières de travailler, et de nouveaux clients découvrant Figures Libres. En travaillant sur le dossier pour la Maison Bakhita, j’ai découvert qu’il fallait classer les pistes d’expérimentation du rapport d’activité de manière à amener le client vers des choix graphiques les plus affirmés, et non mettre ceux-ci en premier.
Et l’éthique dans tout ça ?
Depuis le début de ma formation de DNMADE, il y a un aspect du designer graphique qui me questionne, celui de l’éthique.
Toutes ces questions sont sûrement celles que se sont aussi posés les membres du collectif Figures Libres. Elles ont motivé leurs choix de quitter Adobe et d’autres multinationales pour rejoindre le merveilleux monde du libre, mais aussi pour se concentrer sur le milieu associatif et culturel. Ce collectif a même répondu à ces interrogations à travers leur démarche de travail : oui, il choisit ces clients, et oui, il travaille pour des clients partageant son éthique et sa philosophie.
Mais certains clients ont du mal à se détacher complètement du grand méchant Adobe. Par exemple, j’ai travaillé pour un appel d’offre de la mairie du 18e arrondissement de Paris qui demandait de réaliser les supports de communications (affiche, flyers, posts réseaux sociaux…) pour le Forum du Temps Libre et des Loisirs qui aura lieu le 7 septembre prochain. Dans les livrables, il était demandé de fournir un fichier indesign !
En travaillant sur différents projets au sein du collectif, j’ai donc pu découvrir plus en profondeur le métier de graphiste et de directeur artistique, notamment dans sa relation avec le client, le travail en groupe, j’ai réfléchi sur l’aspect éthique du métier. Je suis certes un peu déçu parfois en voyant les retours du client sur nos choix graphique, mais je suis surtout très content de pouvoir travailler sur des projets très variés et d’être considéré comme un membre du collectif et non comme un simple stagiaire à qui l’on lui attribue les tâches répétitives et uniquement exécutives. J’ai mon mot à dire sur chacun des projets qui m’est confié !