L’arrivée dans une jungle

« Découverte de la jungle … »

Le mot jungle, qui peut sembler péjoratif aux premiers abords, définit en fait parfaitement mes deux premières semaines d’expérience dans ce stage.

En effet, en arrivant dans cette jungle, à savoir l’agence “Gorille”, je savais que j’allais dans un studio de motion design « corporate » qui travaillait sur divers projets, avec des directions artistiques pas toujours très intéressantes. J’avais donc une certaine appréhension, mais c’est aussi ce que je recherchais : une agence avec de l’expérience, qui me ferait découvrir la création de visuels pour les entreprises, même s’il n’y a que peu de place pour la création.

Ainsi, avant d’entrer dans la jungle, je m’étais fait de nombreuses idées, et une fois à l’intérieur, je me suis d’abord senti perdu devant son immensité.

En effet, dès mon arrivée dans l’agence, Davy, le directeur artistique, m’a fait un récapitulatif du fonctionnement global de l’entreprise, puis m’a rapidement plongé dans la réalisation d’un motion. J’ai pu découvrir à petits pas les différentes étapes fondamentales de sa création, mais je ne m’attendais pas à découvrir autant de choses en si peu de temps. Et cette découverte repose avant tout sur une chose extrêmement importante : l’organisation à tous les niveaux. Tout est parfaitement calibré. Ainsi, à la manière de la découverte d’une jungle, si aux premiers abords tout me semblait être un grand amas incompréhensible, peut-être même un peu repoussant, je me suis vite rendu compte que chaque petite chose avait son importance et faisait partie d’un tout en réalité parfaitement organisé pour que chaque détail fonctionne en symbiose avec le reste.

Cette grande jungle repose sur deux piliers fondamentaux : l’élaboration d’un projet, ainsi que l’organisation.

I) Élaboration d’un projet

1. Lancement : par mail ou en visioconférence, avec les directeurs de l’agence et le client. Cette partie va définir la demande générale, avec la particularité que Gorille propose des aller-retours pour les clients tout au long de la création, sans augmenter le budget initial ! 

2. Script : différents rédacteurs vont rédiger un script pour le motion (s’il n’est pas déjà fourni) en fonction de la demande du client, en respectant une durée prédéfinie ou définie à cette étape.

3. Style : différents illustrateurs débutent la création de styles, afin de déterminer la direction artistique qui pourrait convenir au client. C’est avant tout sur cette partie que j’avais pu avoir des appréhensions, mais j’ai pu me rendre compte que des styles très différents étaient en réalité essayés, parfois assez expérimentaux et plutôt intéressants. Mais c’est le client qui fait le choix final.

4. Story-board : il consiste la majorité du temps en une accumulation de style-frames qui suivent le script phrase par phrase, ce seront donc les illustrations finales utilisées pour l’animation.

5. Voix-off : une fois le storyboard terminé, la voix off est enregistrée par des comédiens.

6. Animation : l’animation ne débute qu’ici ! Grâce à toutes les étapes précédentes, la création du motion se fait facilement, car tous les éléments nécessaires sont déjà présents et validés par le client.

7. Montage : enfin vient l’étape finale, le montage de tous les éléments. En effet, le motion ne reste souvent pas tel quel, avec seulement une animation et la voix-off. Il y a une partie importante de sound design, bruitages et fond musical, et parfois aussi de sous-titres.

II) L’organisation

1. Serveur Privé : toutes les productions de Gorille sont stockées dans un serveur NAS sur place, ce qui permet à n’importe quel ordinateur d’accéder aux fichiers, tous mis en commun. Chaque projet est rangé exactement avec la même arborescence de fichiers, en suivant les étapes de création vues précédemment, ce qui permet de gagner un temps énorme dans la recherche de fichiers.

2. Communication : peu d’outils de communication sont utilisés afin de tout regrouper et de ne pas perdre de temps. Il y a Skype pour la communication vidéo avec le client ou en interne, et Slack pour des messages rapides et envoi d’informations. Chacun a par ailleurs sa propre adresse mail afin de pouvoir communiquer à tout moment avec les clients.

3. Conceptboard : le pilier de la communication tout au long d’un projet, c’est une sorte de planche interactive à la manière de Google Drive, où toutes les étapes du processus de création sont présentées pour communiquer visuellement et avoir des retours du client.

4. Monday : une application en ligne qui permet d’avoir une vue globale de toutes les tâches à faire, de les attribuer à chaque personne, une sorte d’agenda géant pour une entreprise.

5. Début d’une journée : simple mais efficace, à chaque début de journée un appel collectif se fait sur Skype, Davy fait alors un rappel en 15 minutes de toutes les tâches de la journée pour chaque personne (à retrouver sur Monday) pour voir s’il y a des points à éclaircir.

Finalement, même si j’organisais toujours moi-même chacun de mes projets, je n’avais pas encore trouvé de bonne manière de l’appliquer à toutes mes réalisations, et découvrir toute l’organisation de Gorille m’a donné de nombreuses idées.

Par ailleurs, cette optimisation dans l’organisation, m’a permis de travailler sur de nombreux projets en très peu de temps ! Et de découvrir chacune des étapes de création d’un motion : j’ai pu réaliser une animation, des sous-titres, des montages et du sound design, de nombreuses planches de style, un storyboard complet. J’ai travaillé chaque jour sur 2 à 5 projets différents, ce qui m’a permis jusqu’alors de toujours être en mouvement et de réfléchir à de nouvelles choses, de ne jamais m’ennuyer.

D’autre part, j’ai pu me rendre compte, même si je m’en doutais déjà un peu, que c’est la satisfaction et les envies du client qui priment sur les choix du designer, ce qui m’a conduit à parfois travailler avec une direction artistique assez étrange, et à devoir ajouter des éléments qui ne s’intègrent pas forcément au style et au message choisis.

Le respect du métier de graphiste

Aujourd’hui, pratiquement toutes les agences créatives travaillent sur le système des appels d’offre. C’est une pratique qui permet à un commanditaire, via la mise en place d’un concours, de décider quelle entreprise réalisera sa commande. Les entreprises en concurrence fournissent donc un travail sans aucune rémunération. Gédéon participe régulièrement à des appels d’offre, si ce n’est systématiquement. Ce qui m’a le plus interloqué dans cette pratique, est la quantité de travail fourni par l’entreprise sans aucune certitude d’être choisi pour le développement du projet, et donc rémunéré. C’est une pratique qui, selon moi, ne valorise absolument pas le travail et m’apparaît comme insensé. Je me suis donc demandée pour quelles raisons les métiers dit “créatif” sont globalement moins pris au sérieux et moins respectés ?

Tout d’abord, ce sentiment de non-respect est présent de par une réelle incompréhension de nos métiers. Il suffit de voir à quoi est assimilé un graphiste pour s’en rendre compte : “ah t’es graphiste, tu dois bien savoir dessiner ?”. Cette incompréhension peut être dû au fait que les domaines créatifs sont des milieux assez subjectifs. Au sein même du monde du graphisme il existe des grands noms qui ne pensent pas le graphisme de la même manière et en ont des avis très divergent (prenons l’exemple de David Carson et Jean Widmer). Les milieux créatifs sont également des domaines en constante évolution où tout est variable, ce qui ne facilite pas la compréhension. Ce qui pouvait être la “norme” il y a quelques années (bien qu’il soit difficile de parler de norme) est sûrement radicalement différente aujourd’hui. L’incompréhension est assez normale finalement, beaucoup de métiers sont encore aujourd’hui incompris, ce qui l’est moins c’est la non-valorisation. Etienne Robial, lors d’une interview donné par graphéine disait “quand tu participes à un appel d’offre y’a un mec au-dessus qui sait ce que vaut ton travail, qui ne respecte pas ton professionnalisme”. De ce fait, la subjectivité qu’apportent les domaines créatifs laisse entendre que le client peut savoir mieux qu’un professionnel ce qui doit être fait: quelle couleur choisir, ou placer telle illustration etc. Un client a parfaitement le droit de ne pas aimer un projet car le style/le ton/le support ne lui correspond pas mais il ne devrait pas remettre en question le travail fourni.

De plus, il existe une autre raison qui pousse les individus à ne pas prendre au sérieux notre travail : la passion. Lorsque l’on est passionné par notre métier, cela suppose une forme de liberté et de créativité mais également le fait qu’il n’est pas forcément nécessaire de nous payer car notre activité est porteuse de sens, et se suffit à elle-même. Autrui pense que l’on peut, de ce fait, tout lui céder : “c’est bon t’es passionné, tu peux faire ça gratuitement” ou “c’est bon t’es passionné, tu peux travailler le week-end”. Lorsque j’étais chez Gédéon, certains clients n’avaient aucun problème à demander aux motions designer de refaire entièrement des animations qui avaient pourtant été validées en amont. Pour certains, nos métiers peuvent sembler “facile” car bien souvent nous devons faire preuve de simplicité (ce qui est largement plus dur que de faire compliquer). Mais si l’on compare notre métier avec un autre cela paraîtrait tout de suite moins facile: imaginez demander à un maçon de “refaire” une partie de votre maison qu’il a déjà fait. Cela paraît insensé.
Les appels d’offre résultent de ce manque de sérieux accordé à nos métiers. Dans un futur, il serait intéressant de réfléchir à de nouveaux systèmes permettant de valoriser chaque travail effectué. Peut-être est-ce aussi simple que de payer chaque participant aux appels d’offre, mais peut-être devons nous repenser le système entièrement. Nous pourrions par exemple imaginer, qu’un travail au sein des entreprises commanditaires pourrait être effectué en amont pour choisir le graphiste/l’agence qui conviendrait au projet sans en faire travailler d’autres sans aucune rémunération.

Malgré tout, les appels d’offres peuvent également rencontrer quelques avantages. Ils permettent par exemple de donner sa chance à n’importe qui car généralement tout le monde peut participer. Un jeune graphiste inconnu peut donc décrocher un emploi via ce système, ce qui n’aurait peut-être pas été possible autrement. De plus, la concurrence, lorsqu’elle est saine, peut pousser à se dépasser. Elle peut être vecteur d’innovation plus aboutie ou de diversité plus forte et ainsi faire évoluer le milieu de graphisme.

Les métiers créatifs souffrent ainsi de manque de respect (parfois/souvent inconscient) qui résulte de différents facteurs. Dans notre secteur, ces derniers sont amplifiés par le système d’appel d’offre qui ne valorise pas forcément le travail fourni, sous l’excuse que nous exerçons un “métier de passion”. Dans une société capitaliste comme la nôtre nous pourrions donc nous demander si cette appellation de “métier de passion” n’est pas une formule marketing pour pousser les travailleurs “passionnés” à accepter des conditions de travail à la limite de la légalité ?

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