Graphiste caméléon ou spécialiste assumé?

Mon deuxième stage, aussi court qu’intense, vient tout juste de se terminer. Cette fois-ci, j’ai eu la chance de le faire chez Matthieu Poli. Pendant ces quelques semaines, nous avons travaillé sur plusieurs projets très différents, et j’ai pu toucher à une grande variété de tâches : motion design, illustration, génération de vidéos avec l’IA, création de contenus pour les réseaux sociaux, modélisation 3D, et bien d’autres encore.En réalité, c’est exactement ce que fait Matthieu dans sa propre pratique professionnelle. Il ne se limite pas à un seul domaine. Cette polyvalence lui permet d’accepter des projets très variés en tant que freelance. Il est l’exemple parfait du designer polyvalent.

Et forcément, cela m’a fait réfléchir en tant que jeune graphiste encore au début de mon parcours professionnel. Faut-il vraiment savoir tout faire, ou bien vaut-il mieux se spécialiser dans un domaine précis et devenir expert ?

J’ai vite compris que cette question n’avait pas de réponse simple. Le marché envoie souvent des signaux contradictoires. D’un côté, on voit beaucoup d’annonces qui recherchent des profils « multi-compétences », capables de répondre à tous types de demandes. De l’autre, certains studios ou agences ne s’intéressent qu’aux profils ultra-spécialisés : un typographe expert, un animateur 2D avec un style bien à lui, un spécialiste de la texture 3D, etc.

Pendant un moment, je pensais qu’il fallait choisir. Soit devenir un couteau suisse du design, soit plonger à fond dans une seule compétence. Aujourd’hui, je réalise que la réalité est beaucoup plus nuancée, et surtout très liée au contexte dans lequel on évolue.

Être polyvalent, c’est rassurant… mais exigeant

Pour beaucoup de designers aujourd’hui, la polyvalence devient presque une nécessité. Peu de clients comprennent la différence entre un designer graphique, un motion designer, un DA ou un illustrateur. Ils veulent un résultat, souvent avec un seul interlocuteur, et idéalement le plus rapidement possible. Pendant mon stage j’ai compris qu’être capable de répondre à différents types de demandes devient alors un avantage non négligeable, presque une condition de survie en freelance.

Mais cette polyvalence a aussi un coût. Il faut se former en continu, changer d’outils, s’adapter sans cesse à de nouvelles plateformes. Et surtout, il devient difficile d’atteindre un très bon niveau dans chaque domaine. Parfois, on finit par « faire un peu de tout », sans vraiment se démarquer dans quoi que ce soit.

Illustration de polyvalence

Matthieu m’a aussi parlé de designers qui ont fait le choix inverse – se concentrer sur un seul domaine. Par exemple, un spécialiste en éclairage 3D. Il est assez connu dans son milieu, on fait appel à lui spécifiquement pour des films ou des projets pointus. Et comme il n’y a pas beaucoup de gens avec ce niveau de maîtrise, il a toujours du travail parce qu’il est allé au bout de sa spécialisation.

Le risque, évidemment, c’est de mettre tous ses œufs dans le même panier. Si la demande dans leur niche diminue, ou si leurs références ne parlent pas à certains clients, ils peuvent passer à côté de nombreuses opportunités. Et il faut aussi savoir dire non à tout ce qui sort de leur domaine d’expertise.

Et si la vraie réponse était ailleurs ?

Avec un peu de recul, je me dis qu’il ne s’agit peut-être pas de choisir entre deux extrêmes, mais plutôt de comprendre dans quel environnement on évolue, et surtout ce qu’on veut construire pour soi.

Être polyvalent peut être une excellente base, surtout en début de carrière. Cela permet d’explorer, de mieux comprendre les attentes du marché, et de développer une agilité professionnelle. Mais petit à petit, affiner sa direction, trouver une identité forte, devient tout aussi essentiel pour ne pas se perdre.

Aujourd’hui, je pense qu’un bon designer est avant tout quelqu’un qui sait où il apporte de la valeur, même s’il est capable d’adapter ses outils et ses méthodes selon le projet. Ce n’est pas forcément le choix entre spécialisation ou polyvalence qui compte, mais la clarté de sa position professionnelle.

Et si un jour je choisis de me spécialiser, ce ne sera pas par manque de curiosité, mais parce que j’aurai trouvé ce que j’ai réellement envie de défendre dans mon travail.

L’envers du décor, du décor

Mon agence n’étant pas une où les clients viennent demander des services d’un graphiste, mais bien d’un scénographe, mon rôle peut être parfois remis en cause en tant que créatif. Ayant déjà mentionné dans mes précédentes notes d’étonnement : c’est un domaine assez loin du design graphique. Mon rôle dans l’agence étant très polyvalent, voir qui ne touche plus réellement World+ avec des missions parfois dédiées à l’autre entreprise affiliée.

Pendant ces deux dernières semaines de stage, j’ai été sur un projet de shooting de produits mis en location par l’entreprise Global Supply, je suis en charge de traiter les images prise par une freelance (qui était encore stagiaire avec moi trois semaines avant). La mise en scène d’objets paraît anodine, mais c’est un exercice plutôt minutieux, qu’on pourrait apparenter à de la nature morte qu’on voit souvent dans les shooting de mode. Chaque pli est important, pour montrer le meilleur du produit, pour donner envie de le louer. 

planches-contact de prises de vues non retouchées

Dans cette mission, j’ai pu à la fois travailler des images, mais également pu aider à mettre en place les lumières, l’installation et les objets pour les packshots.

Mise-en-scène d’un harnais par un système de fils

J’ai également pu avoir des opportunités hors graphismes qui m’ont permis d’identifier les rôles présents sur un lieu de tournage. Malgré quelques fonctions qui restent floues pour moi, s’expliquant par la grandeur des équipes qui laissent une certaine distance entre chacun, surtout pour moi qui reste une simple assistante. 

J’ai été intégrée à l’équipe de set design pour un tournage pour la promotion d’un parfum Jean-Paul Gaultier. Où j’ai pu composer ce petit set de mes propres mains dans le terreau. 

Composition dans un cadre + Tournage de séquences du parfum

Mes compétences en graphisme étant loin d’être essentielles lors de mes missions d’assistante, j’en viens rapidement à faire d’autres choses, comme mettre en place cette construction.

Construction d’une assise en fleur, chaque pétale est détachable

J’ai pu réaliser la liberté autour de la dénomination de graphiste et de cette possibilité de ne pas se limiter à avoir seulement une seule fonction. J’ai pu discuter avec d’autres personnes pendant la pause du midi, dont un graphiste qui me disait qu’il faisait également d’autres missions hors graphisme, à la fois pour mieux gagner sa vie, mais surtout par plaisir de toucher à d’autres supports de communication.

En assistant à d’autres projets de set design, j’ai pu voir l’envers du décor, du décor. En étant présente sur des lieux de tournage, ma vision sur les décors dans des publicités ou au cinéma deviennent à mes yeux à la fois plus banals, mais aussi plus impressionnant par l’identification plus spontanée de tout le travail mit sur les constructions. Leur rôle étant de créer, de façon à plonger dans le concept de l’image ou vidéo finale. Généralement dans le but d’en mettre plein la vue. Cependant, tout est beaucoup plus accessible que ce que je ne pensais au départ.

Durant ces trois mois de stage, j’ai pu expérimenter de nombreuses choses, de près ou de loin au graphisme. J’ai eu de nombreuses opportunités en participant à des projets de grande ampleur auquel je n’aurais jamais imaginé avoir à 18 ans. Cela m’a également confronté au monde effréné de la mode.