Le graphisme comme seul langage

Le graphisme peut-il se suffire à lui-même pour être compris et partagé ? I mean peut-on communiquer uniquement par le visuel ? 

La fin de mon stage et de ce voyage approche…🤧🥺 Il ne me reste déjà plus que 2 semaines et cela fait 3mois que je suis ici pourtant, j’ai encore du mal à mesurer l’ampleur de cette expérience, tant elle a été intense, mémorable et à jamais inoubliable. 

Si je devais revenir sur un point essentiel pour cette 3ème et dernière lettre d’étonnement, ce serait sans hésiter la question de la communication et plus précisément celle de la barrière linguistique, qui a marqué l’ensemble de mon stage.

Je n’aurais pas pu survivre sans eux…

Ma plus grande appréhension avant de commencer ce stage était la barrière de la langue, et les difficultés de communication que cela pouvait engendrer, notamment dans la présentation de mes idées. Durant mes études, j’ai toujours eu recours au langage verbal pour accompagner mes projets : que ce soit pour clarifier des concepts abstraits difficiles à traduire graphiquement, ou par manque de temps pour soigner les visuels. Mais pour ce stage dans un pays étrangers j’ai été contraintes de changer mes habitudes de travail radicalement : pour moi dans cette entreprise, tout repose (pour ne pas dire totalement) sur ce que je montre et produits. 

  • 80% LANGAGE VISUEL
  • 20% LANGAGE ORAL / BODY LANGUAGE

Cela a complètement changé ma manière de présenter mes idées. Mes supports visuels sont devenus mon principal outil de communication. Il fallait qu’ils parlent d’eux-mêmes. J’ai donc appris à les rendre les plus clairs, explicites et complets possible : fichiers bien organisés, croquis, références visuelles, annotations, flèches, mots-clés, codes couleurs… tout était bon pour renforcer l’autosuffisance de mes propositions graphiques.

Fichier organisé par code couleur, avec calques et effets nommés en coréen sur Photoshop, accompagné de croquis annotés par des flèches

Quant à elles, mes collègues coréennes, accompagnaient souvent leurs présentations de longs développements oraux, même à partir de croquis très simples. Ce que je ne pouvais bien évidemment pas faire, je devais alors compenser ce que je ne pouvais pas dire à l’oral par un surplus d’effort visuel. Pour exprimer la même chose, je devais souvent aller plus loin graphiquement.

C’était exigeant, mais extrêmement formateur. Cela m’a poussée à structurer mes fichiers avec précision, à penser mes visuels non plus comme un accompagnement, mais comme le message en lui-même. Cette contrainte a été, en réalité, une chance : je pense que je n’aurais pas développé cette exigence aussi rapidement en France, où le recours à la parole est plus systématique (et parfois par réflexe… ou par flemme).

Les demandes de travail aussi se faisaient en grande partie par le visuel. Une collègue m’envoie un fichier via AirDrop ou Kakaotalk , vient me montrer des zones, des formes, des couleurs… en parlant rapidement en coréen. J’écoute, j’observe, je déduis : ses gestes, les intonations de sa voix, son langage corporel me donnent des indices. 

Le traducteur vocal que j’utilise me permet une première compréhension, mais elle reste très approximative. Je dois donc souvent recouper les infos, passer par ChatGPT pour affiner, et surtout me fier à ma mémoire des visuels qu’elle m’a montrés. C’est un vrai jeu de déduction à apprendre sur le tas.

Un infime aperçu de toutes les traductions que j’ai dû faire…

Ce décalage m’a appris à faire avec les zones d’ombre, à ne pas poser de questions inutiles, à interpréter les attentes à partir des indices reçus. Et finalement, cela m’a rendue presque totalement autonome dans mon travail. Jusqu’ici, je n’ai rencontré aucun malentendu majeur ou hors sujet preuve que le langage graphique, bien maîtrisé, peut réellement être universel. 


Le graphisme permet de transmettre énormément de choses, parfois même l’essentiel, sans avoir besoin de mots et peut être un véritable langage universel  comme l’art pariétale qui nous as permis de comprendre les civilisation antérieurs juste à travers des formes et couleurs qui peu parfois être bien plus puissant que les mots et compréhensible par tous. Mais le langage verbal reste un atout précieux pour enrichir, nuancer et clarifier les intentions, mais le fait de ne pas maîtriser la langue coréenne, que je considérais au départ comme un désavantage, m’a finalement poussée à renforcer des aspects fondamentaux du métier de designer graphique : la précision, la clarté, l’anticipation, l’autonomie… et surtout, la capacité à faire parler mes images d’elles-mêmes.

Mon patron, ce client

En participant à la communication interne de World+, je n’ai pas de clients externes. Pourtant, j’ai découvert un client très exigeant au sein même de mon entreprise.

La hiérarchie de World+

Au fil des semaines au pôle graphisme, j’ai assisté Maël le lundi et le mardi, et pris en charge certains projets tous les autres jours. J’ai réalisé que le poste de stagiaire que j’occupe est en réalité intitulé « Assistante Image ».
Cela signifie que je ne suis pas simplement en apprentissage, mais que j’assiste le Directeur Image en début de semaine et le remplace le reste du temps.

Datavisualisation de mes différents lieux de travail

J’ai éprouvé des sentiments mitigés concernant les différentes activités depuis mon arrivée. Pendant longtemps, j’avais l’impression que rien ne décollait.

Les projets reprennaient progressivement pour les set designers, mais les graphistes ne travaillaient pas directement pour eux. Il n’y a d’ailleurs ni expositions ni catalogues à produire pour 2023-2024, ce qui fait que je ne suis rattaché à aucun projet particulier et que j’arrive le matin sans savoir les tâches à faire et les objectifs.

J’ai donc compris progressivement mon rôle pour ce stage : nous travaillons pour Vincent Olivieri, construisant et diffusant l’image de son entreprise pour attirer clients et partenaires.

Il est très pointilleux sur cette image, mais sans avoir d’idées précises sur ce qu’il souhaite transmettre. Cela rend la création et l’approbation de projets compliquées : il sait ce qu’il ne veut pas, mais n’est jamais sûr de ce qu’il veut. Il est exigeant parce qu’il est directeur artistique, mais il n’est pas graphiste donc il se repose sur l’équipe Image, ce qui est normal. Malheureusement, aucun visuel ne peut être validé sans son accord, car c’est sa société. Cela conduit à un interminable jeu de ping-pong entre création et prise de décision. Mais sans avoir plus d’indices sur la direction à prendre.

La roue des réponses de Vincent

Jusqu’à présent, mes productions étaient peu importantes et stimulantes car je travaillais principalement sur la communication interne administrative. J’ai envoyé des mails, fait des exports de productions que je n’avais pas réalisé, fait du benchmarking, redimensionné des vidéos montées par d’autres personnes. Peu de tâches créatives. J’ai trié et uploadé des contenus pour le site internet, remplacé des photos dans d’anciennes brochures, et mis des logos sur des poubelles de tri. Des tâches nécessaires, mais peu gratifiantes.

A cette époque, j’apprenais principalement sur les relations professionnelles, les chiffres d’affaires et le fonctionnement des différents pôles de l’entreprise, plutôt que sur le rôle d’un graphiste en entreprise.

Je passe la plupart de mon temps en autonomie, les bureaux étant souvent vides de graphistes. Je manquais de directives claires et je devais souvent demander des fichiers ou des instructions pour commencer une tâche. Malgré mes efforts pour proposer des idées et demander des directives claires, la communication chez World+ reste compliquée, surtout avec Vincent, notre principal « client ».

Nous travaillons actuellement sur la refonte du site web, publié la semaine prochaine si tout va bien. Bien que la structure soit finalisée, la forme reste difficile à concrétiser. Le nouveau site doit refléter le concept de l’entreprise, qui ne se positionne plus comme agent de set designers, mais comme partenaire. Cette transformation nécessite une communication renouvelée à travers son image et le site web.

Il est crucial d’analyser les messages envoyés aux clients via notre site. Une idée brillante sur la hiérarchisation des projets peut parfois négliger les set designers partenaires. Il faut toujours trouver un équilibre entre ce que Vincent imagine, puis ce que Maël propose graphiquement en accord avec ses idées. Souvent, Vincent n’aime pas nos propositions, et parfois même ses propres propositions. Cela crée de nombreux échanges et ajustements pour satisfaire ses attentes évolutives, ce qui est son droit en tant que directeur. 

Mais être chef d’entreprise n’est pas sa seule activité, et il doit aussi travailler en tant que set designer, alors parfois nous n’avons pas de nouvelles pendant plusieurs jours.

J’ai noté une phrase de Maël : « Lors de nos appels, je demande des retours sur la structure générale, mais il se focalise sur des détails. Cela freine notre progression car il a le sentiment que rien n’avance et qu’il faut tout recommencer. »

Sans directives claires, nous tâtonnons. Sans plan de communication précis, nous nous basons sur des références de nos homologues. L’équipe Image tente d’imposer une organisation plus structurée. Elle teste des créations qui ne sont pas validées, et doit souvent recommencer. Cela affecte mon travail car je dois aussi sans cesse refaire des productions pour répondre aux exigences.

Un exemple de mes tâches personnelles

Aujourd’hui je m’en suis détachée, à la fois parce que je me suis habituée, puis parce que les choses commencent doucement à changer. J’ai enfin commencé à produire des visuels plus intéressants. Mes contributions sont désormais prises en compte. J’ai demandé à participer à des tâches diverses et à assister à des shootings pour comprendre le rôle de World+ en dehors de la communication interne. Entre photos, vidéos, newsletters éditoriales, mises en page de brochures et design de merchandising pour la marque, depuis 2 semaines j’ai mieux expérimenté la vie en entreprise en tant que créative.

Montage condensé de mes activités plus créatives

Nous sommes au milieu de cette expérience de 3 mois.
Mon stage chez World+ me permet d’apprendre à naviguer dans un environnement exigeant sous la direction de Vincent Olivieri et de Maël. Plutôt que de développer des compétences techniques, j’ai développer encore plus ma capacité à m’adapter, à prendre des initiatives et à travailler de manière autonome, tout en apprenant à gérer les attentes d’un client interne exigeant.