La spécialisation des tâches au sein d’une agence

La spécialisation, du latin spécialis, signifie spécial, particulier, propre à… En effet, cela désigne le fait d’attribuer un rôle, une tâche ou une fonction à une personne qui s’est consacrée à l’apprentissage d’un domaine particulier lui permettant de réaliser de la meilleure des façons ce rôle, cette tâche ou cette fonction. La spécialisation existe depuis des millénaires et à même participé à l’évolution de notre espèce : à l’ère préhistorique, lorsqu’ils chassaient, les premiers hommes devaient se partager les tâches pour survivre (par exemple, l’un posait un piège pendant que l’autre faisait le guet). Cette division du travail aurait même fortement participé à la naissance du langage qui devenait primordial pour chasser en toute sécurité. Elle fut donc un vecteur de socialisation chez l’homme, amplifiant la cohésion de groupe. C’est également par cette spécialisation que l’homme a pu devenir plus libre dans le travail, pouvant former ses congénères ou encore s’auto-former.

Aujourd’hui, notre société est bien différente et a d’ailleurs connu des bouleversements dans le monde du travail (l’arrivée des machines à vapeur, de l’électricité, le fordisme ou encore internet). Peut-on encore dire aujourd’hui que la spécialisation est source de cohésion sociale ? Permet-elle d’être plus créatif/productif ? N’entrave t’elle pas la liberté des individus en les cantonnant qu’à un domaine spécifique ? 

À l’école, on nous apprend à réaliser un projet graphique de A à Z, c’est à dire à tout faire : trouver un concept, le développer (impression, programmation web…), communiquer dessus (à l’oral mais aussi à l’écrit) et enfin, gérer l’organisation du projet. Or, durant mon stage, toutes ses tâches étaient totalement distinctes. Chaque personne effectuait la mission pour laquelle elle avait été formée et été compétente. Parfois même, une mission pouvait encore être divisée en plusieurs personnes afin de générer plus d’idées, de créativité et de productivité. De plus cela entraîne une certaine complémentarité entre les différents acteurs et donne à chaque personne un caractère irremplaçable. C’est ce que théorisait le sociologue Emile Durkheim dans les années 1890. Néanmoins, j’ai moi-même pu observer que cette spécialisation augmente la solidarité, chacun devant se reposer et croire aux compétences de l’autre. J’ai souvent été étonné de voir à quel point les cheffes de projets (Pauline, Églantine et Emmanuelle) me faisaient confiance alors même que je n’étais “que” stagiaire. De ce fait, la qualité des productions en est, elle aussi augmentée, chacun ayant confiance en l’autre, cela augmente également la confiance en soi et permet d’être plus sûr de ses choix tout en n’ayant aucun problème à demander les conseils de personnes plus expérimentées. Cette valorisation de l’individu assure elle aussi la cohésion sociale, chacun se sentant reconnu aux yeux des autres. 

Dans le domaine créatif, la spécialisation permet également de ne pas participer à l’organisation du projet, ni aux discussions avec les clients (pouvant être longues et fastidieuses) car gérés par les chef(fe)s de projet. Cela permet donc de se consacrer pleinement à la création. Enfin, pour que cette division du travail fonctionne correctement, il faut bien évidemment que tous aient les mêmes valeurs et respectent les normes qui ont été établies. Ces normes ne sont pas forcément institutionnalisées mais peuvent prendre la forme de convictions, d’état d’esprit ou encore de discipline individuelle. Durant mon stage, chacun savait ce qu’il avait à faire et se disciplinait seul sans avoir besoin d’une instance supérieure. Chez Gédéon, cette spécialisation et division du travail étaient donc très bénéfiques, car elles favorisaient l’échange, la discussion et ainsi l’intégration, mais est-ce une généralité ? Dans la plupart des cas, la cohésion est-elle toujours présente et souhaitée ? 

Même si la division du travail possède de nombreuses qualités, elle peut, dans certains cas connaître des conséquences négatives. En effet, cette division du travail peut amener les individus à effectuer des actions répétitives et donc conduire à l’ennui ou la lassitude. Bien qu’elle existe, cette conséquence ne s’applique pas forcément dans tous les domaines. Lors de mon stage, je n’ai jamais ressenti de lassitude étant donné que chaque projet était différent. Je ne faisais jamais deux fois les mêmes animations/visuels/chartes/logos… Je pense que cela est dû au fait que les domaines créatifs sortent un peu de la norme. Ils ont beau être centrés sur les mêmes missions, dans le cas de mon stage : penser une identité pour une chaîne et l’animer, chaque client et chaque chaîne seront différents. Mais encore une fois, je pense que cela est un cas particulier. De plus, la spécialisation du travail peut être perçue pour certains individus comme une privation de liberté. En effet, n’ayant qu’un seul rôle ou n’effectuant qu’une seule mission, certains pourraient se sentir frustrés, surtout lors des missions d’exécutant. C’est peut-être l’une des raisons pour laquelle, le travail en free-lance se développe de plus en plus. Lors de mon stage j’ai pu observer que Gédéon employait beaucoup de free-lance en plus des CDI. Sur 14 personnes travaillant au total chez/avec Gédéon, la moitié sont des free-lances. Selon une étude menée par la start-up Malt, les travailleurs indépendants auraient augmentés de 145% entre 2008 et 2018 en France, passant de 700 000 en 2013 à 930 000 en 2019. De ce fait, la spécialisation, bien qu’ayant participé à l’amélioration de la qualité de vie au travail, ne semble pas convenir à tous.

La spécialisation du travail est une méthodologie très intéressante lorsqu’elle est bien menée. C’est le cas il me semble chez Gédéon, et c’est ce qui participe à la bonne entente du groupe ainsi qu’à l’entraide. Néanmoins, il semblerait que cette approche ne soit pas adaptée à toutes les entreprises ainsi qu’à tous les individus. Notre société étant en constante évolution et adaptation, est-on à l’aube d’une nouvelle forme de travail, plus centrée sur l’individu que sur le groupe ?

Schéma de la spécialisation chez Gédeon.
Graphique montrant la proximité avec le client et la part de création dans les différents domaines présents chez Gédéon.

Travail en autonomie et problèmes de communication au sein d’une entreprise

La crise sanitaire que nous avons vécu a obligé la plupart de la population de travailler en télétravail. C’était donc une occasion pour nous, apprentis graphistes, d’expérimenter cette nouvelle façon de travailler. Cela nous pousse à être autonome étant donné que nos tuteurs ne sont pas physiquement à côté de nous pour nous guider au mieux. Pour ma part, je me suis rendue compte que mon stage se déroulait au ralenti et que j’avais bien trop d’autonomie.

Le premier défi qui s’annonçait était donc de gérer au mieux son temps pour ne pas s’éparpiller, tout au long de la semaine. Le problème est que cela était assez difficile étant donné qu’il y avait souvent un long laps de temps entre le rendu de mon travail et leurs retours. Au départ j’étais plutôt perturbée par cette longue attente mais avec le temps j’en ai profité pour avancer mes projets personnels ou alors faire davantage de propositions pour leur projet. Travailler en autonomie est bien à condition qu »on ai des horaires fixes (pour ma part j’ai besoin qu’on établisse un emploi du temps fixe), un planning, qu’on puisse faire des réunions plus souvent, faire le point ensemble, mais ce n’est pas le cas. De plus, c’est plus difficile pour moi de me motiver à travailler alors qu’il n’y a pas de vrai échange entre moi et mes tuteurs. C’est perturbant parce que parfois j’aimerai avoir plus d’aide, plusieurs avis pour pouvoir m’améliorer vraiment, alors que là je dois vraiment me faire confiance à 100%.

Néanmoins, ce stage m’apprend à travailler en totale d’autonomie, c’est donc enrichissant car j’ai l’habitude de demander conseils à mes professeurs, ou même à ma famille ou collègues, alors que là je dois me fier à mon propre « instinct ».

Cette autonomie et ces moments de silences m’ont permis de me découvrir un peu plus en tant qu’apprentie graphiste. Mes tuteurs n’étant pas des graphistes, cela rendait le contexte de travail particulier. Il était parfois difficile de se mettre d’accord avec eux sur plusieurs choix, que ce soit à propos de la typographie, les couleurs, les illustrations… j’ai dû adapter, modifier mes « goûts » pour des personnes qui ne travaillent pas dans le graphisme, qui sont comme des clients, avec un regard extérieur. Cela est intéressant puisqu’une fois dans le monde du travail, nous allons devoir exercer nos compétences pour un public pas toujours initié au graphisme. Je me suis cependant posée une question, par rapport à tout cela, faut-il imposer son avis, ses aspirations et ses idées de graphiste en expliquant pourquoi nous avons fait ces choix, pourquoi il est important de laisser une composition respirer par exemple (et ne pas la remplir de fioritures) ou faut-il appliquer à la lettre les souhaits du client ? La dernière option semble plus facile et accessible, mais elle ne nous apportera rien, pas de satisfaction, on ne sera surement pas contents du résultat final. Au départ j’ai malheureusement choisi la première option car je n’osais pas imposer mon avis, puisque ce sont mes supérieurs. Maintenant, j’arrive à mieux à communiquer mes intentions et mes choix graphiques, mais cela reste un travail difficile car nous ne sommes que des étudiants et porter notre voix n’est pas si facile dans ce milieu… Dans le cas présent il ne s’agit pas de faire un stage dans une agence de graphisme, mais dans une école qui accueille des étrangers. Il faut d’autant plus respecter le choix de mes tuteurs (étant donné que l’un des deux est directeur de l’école). Je dois donc faire attention aux messages et au ton adopté, afin que les différents supports de communication soient compréhensibles par tous les élèves.

La gestion des mails dans le monde du travail

Durant cette période de stage, l’un des aspects du monde du travail qui m’a marqué est la communication par mail. Certes, nous étions en confinement et donc en télétravail, par conséquent, échanger avec les membres du service par mail était inévitable. Cependant, j’ai été surprise de la quantité de mails reçu, des délais de réponse obtenus.
Dès le premier jour, en ouvrant ma messagerie, j’avais plus d’une dizaine de mails, dont 95% ne me concernaient pas, et cela s’est poursuivi tout au long des trois mois. Selon moi, la communication par mail peut être une méthode très utile mais à la fois une énorme perte de temps, car ce n’est pas une messagerie instantanée mais la majorité a tendance à utiliser cet outil comme si c’était le cas. 
Je pense que lorsque le destinataire a besoin de réfléchir à sa réponse, a besoin de temps, lorsque la réponse ne peut pas être immédiate ou lorsque l’on veut échanger sur un support précis et donc envoyer des pièces-jointes, communiquer par mail est une bonne solution. 
Mais d’après ce que j’ai pu observer durant ces trois mois, il y a je pense, une mauvaise utilisation et gestion de cet outil. Pour une petite question à laquelle la personne concernée pourrait répondre rapidement au téléphone, la plupart des personnes ont tendance à instinctivement et naturellement se tourner vers les mails. De ce fait, on se retrouve à échanger des dizaines de messages, à ne pas se comprendre car l’écrit n’est pas toujours aussi évident que l’oral, à poser plusieurs fois les mêmes questions, à attendre, à avoir des réponses qui ne sont pas celles auxquelles ont s’attendaient… Tout ça pour une petite question à laquelle on aurait pu avoir une réponse en 2 minutes au téléphone. Mais cette méthode de communication est tellement ancrée dans le monde du travail que l’on a délaissé le fait de se parler de vive voix. Au-delà de nous faire perdre du temps et donc de l’efficacité, ce n’est selon moi, pas le seul problème que posent les mails. À cause d’eux, on en oublie également la déconnexion.
Durant mon stage, que ce soit en commençant le matin ou en démarrant une nouvelle semaine, je regardais toujours les heures auxquelles on m’avait envoyé des mails, et j’ai pu remarquer que beaucoup de personnes ne déconnectent plus, sont tellement submergées par la quantité de travail qu’elles ne s’arrêtent plus. 21h53, 22h47, 00h47, 00h54, 01h08, 02h16 : voici des heures auxquelles j’ai pu recevoir des mails, et même le dimanche. S’ils n’existaient pas, et que l’on fonctionnait seulement par téléphone, personne ne se permettrait d’appeler un collègue à des heures si tardives…Mais avec les mails, on peut se le permettre. Ce système devient alors un cercle vicieux duquel on ne décroche plus et je pense que ce n’est pas une bonne chose pour notre santé mentale, le corps a besoin de décrocher, de couper complètement du travail et de ne pas y penser constamment.
Pour en revenir au fait de recevoir une quantité conséquente de mails et pour donner un exemple précis : lors d’un appel sur Teams, ma tutrice, la directrice du service communication, nous a fait un partage d’écran, et j’ai pu apercevoir sur sa messagerie, plus de 2000 mails non-lus ainsi que 60 brouillons. Ces chiffres m’ont réellement marqué. Comment peut-on travailler avec l’esprit léger et serein lorsque l’on a autant de mails à traiter ? Cette problématique est totalement liée au sujet abordé précédemment puisqu’il participe tout à fait au fait de ne plus réussir à décrocher du travail.
La mauvaise utilisation de cet outil dans le monde du travail est un engrenage, on reçoit une quantité beaucoup trop importante de mails dont un certain pourcentage ne nous concerne pas, on priorise et on en fini par délaisser des mails auxquels on répondra avec des semaines de retard, le stresse nous envahit car c’est une pollution visuelle, on ne décroche plus de sa messagerie car c’est une boucle infinie.